mercredi 23 janvier 2008

dorothy parker


lettre à Dorothy Parker, pour la revue décapages en 2005 ou 2006 je ne sais plus, quant au mois... (à chaque numéro un écrivain écrit une lettre à une de ses idoles)

Chère Dorothy Parker,
Dieu merci vous êtes morte. Je peux ainsi vous dire que je vous aime. La mort est une belle invention, elle débarrasse de la migraine et des factures, et permet de parler sans timidité à ceux qui nous sont si proches. La mort ne sépare pas, c’est idiot cette idée. Au contraire, elle rend possible les rencontres. C’est la vie qui sépare, les obligations, les peurs, l’éloignement géographique et social, l’orgueil. Si j’avais vécu dans le New York des années vingt, nous nous serions manqués. Je n’ai pas ce don pour la destruction qui était le passeport nécessaire pour vous approcher. Vous êtes morte, je peux vous parler sans craindre de vous flatter ou de rougir.
Si je vous avais rencontré j’aurais voulu vous sauver. Vous protéger. Vous dire de poser cette bouteille de whisky de contrebande et d’arrêter de sortir avec des crétins. Vous n’auriez pas aimé ça. Moi j’aurais été triste.
Peu de gens le savent, mais vous avez inventé Manhattan. Vous y avez dispersé votre humour et votre détresse, votre génie a changé son architecture. Avant vous, les feuilles des érables ne portaient pas encore ces couleurs sanguines qui enchantent Central Park en automne. Vous avez beaucoup bu pour casser la trop grande géométrie des rues et avenues, vous avez fumé pour leur léguer la brume.
Vos nouvelles possèdent une profondeur qui ne s’affiche pas, elles sont tendres, violentes, drôles et désespérées à la fois. Vous ne jouez pas à l’artiste. Vous dîtes : il faut se mettre à sa table de travail et bon dieu arrêtez de se plaindre et écrire. Vous vous moquez de ceux que vous appelez les « rotariens littéraires ». Quand tellement de romanciers écrivent comme des journalistes, vous nous avez donné des articles qui sont des chefs d’œuvres.
Malgré vos mots d’esprit et votre virtuosité sarcastique, vous étiez discrète et peu sûre de vous. Le doute est la récompense de l’artiste disait votre ami Hemingway. On vous croit misanthrope, non ce n’est pas ça, vous étiez simplement pudique et ne supportiez pas les bonnes âmes et les nobles sentiments dont on s’habille trop facilement. Vous avez été de tous les combats, en 1937 en Espagne du côté des Républicains, et toujours contre la ségrégation raciale, contre la répression politique, contre les clergés et ceux qui sont convaincus de ce qu’ils sont. Vous êtes morte, paraît-il. Ce n’est pas grave. C’est une façon plus subtile d’être en vie.

2 commentaires:

Tiphaine Violette a dit…

Cher Martin Page,
Je suis très contente d'avoir pu lire cette très jolie lettre, merci de l'avoir transcrite ici, c'est chouette. Et puis je dois vous dire merci, un gros merci, c'est grâce à vous que j'ai découvert Dorothy Parker, "Razors pain you..." griffonné sur un coin de page. :]
Bien à vous,
Tiphaine.

martin page a dit…

Chère Tiphaine,
je me bats, un beau manque de succès, pour essayer de faire publier sa poésie en France, mais les éditeurs y voient un trop faible intérêt commercial.
je suis heureux que vous aimiez celui là.
cordialement
martin