mardi 29 avril 2008

Oscar Wilde


(préface à l'édition Arléa de l'Ame Humaine (ou Ame de l'Homme sous le Socialisme ; texte légèrement modifié pour le livre Rire de Résistance publié par le théâtre du Rond-Point et Beaux-Arts)

Le scandale du plaisir


D’après ce que nous enseignent les livres de sciences naturelles, des millénaires ont été nécessaires à la Terre pour donner naissance à Oscar Wilde. La gestation fut longue. Les époques qui ont précédé sa naissance n’ont pourtant pas été inutiles ; elles ont fourni un parfait compost. Bien sûr, il y eut un choix à faire. Pour qu’Oscar Wilde naisse les dinosaures ont dû disparaître. Ils n’auraient pu co-exister, Wilde n’aurait pas toléré leurs manières grossières et leur habitude de piétiner les fleurs des champs.
Il fut aimé et haï pour la même raison : on comprenait ses livres parfaitement mal. La haine est là, il faut la dévoiler sous les baisers et les applaudissements. Sans doute aurait-il vécu plus heureux et plus longtemps si on l’avait haï plus tôt. La haine vaccine quand elle est injectée dès l’enfance, laissant aux anticorps de l’indifférence le loisir de se développer. 
Il maniait la langue comme le plus efficace des fouets, capable aussi bien de gifler que de caresser. Il pensait avoir dompté l’Angleterre. Mais le vieux lion cessa de s’amuser et le dévora dans un tribunal. On porta les restes du prince déchu dans une cellule de la prison de Reading où, pendant deux ans, ses derniers muscles furent rongés par la fatigue et les rats. Né en Irlande, il acheva de mourir en France. L’Angleterre n’eut que sa vie.
Oscar Wilde est aimé aujourd’hui, et il ne peut rien contre cet amour. On aime les artistes morts, car ils sont sans défense. La société les tue pour qu’ils deviennent le symbole de ce dont elle les accuse. Homosexualité et débauche étaient des accusations imparables sous le règne de Victoria. Les crimes de Wilde sont ailleurs.
Son génie passe pour une génération spontanée d’idées brillantes. L’horrible vérité est qu’Oscar Wilde travaillait énormément. Il jouait la facilité par pudeur. Il faisait trop de bruit pour qu’on remarque combien il était humble. Il parlait trop de lui pour qu’on comprenne combien il était préoccupé des autres. Il prenait trop soin de son apparence pour qu’on voie à quel point il ne s’en souciait guère.
Le grand scandale d’Oscar Wilde est le plaisir qu’il donne, plus que celui dont il parle. Il est aphrodisiaque quand il aborde la politique. Il est aphrodisiaque quand il écrit sur les fleurs, les costumes de scène, l’amour ou la morale. On ne pardonne pas à un écrivain d’avoir un style si excitant. Le faible lecteur se sent coupable. Habitué à souffrir pour apprendre, il en déduit que, s’il jouit, cela ne doit pas être bien sérieux. Wilde a réussi la fusion de l’intellect, de l’apollinien et du dionysiaque.
On trouve Wilde drôle, brillant et inventif, on le couvre de qualités secondaires, pour ne pas voir qu’il est, avant tout, un artiste tragique et un penseur. Il y a des artistes qui éloignent le public par leur inaccessibilité. L’inaccessibilité de Wilde est son accessibilité. Peu de gens ont compris son désespoir et la profondeur de sa révolte. S’il n’était défendu de rire dans les amphithéâtres de philosophie, il serait considéré comme un des plus grands philosophes. 
Il faut lire ses contes, voir ses pièces et étudier ses essais pour se rendre compte qu’il fait partie de ce petit nombre d’artistes capables à la fois de nous émouvoir, de nous faire rire, de nous donner du plaisir et de changer notre regard sur le monde. Un seul de ses aphorismes constitue un repas complet : « Le succès, c’est aller d’échec en échec sans perdre son enthousiasme ».
Il est mort aussi. Ce n’est pas le moindre de ses talents. Le propre des grands artistes n’est pas d’être immortel, mais de mourir. Dire que seuls les grands artistes sont immortels est une bêtise. La vérité est que seuls les grands artistes meurent. Le reste de l’humanité arrête seulement de respirer.
Allez vous recueillir devant la tombe d’Oscar Wilde au cimetière du Père-Lachaise. Touchez la pierre et regardez le Sphinx. Vous comprendrez, alors, que cette tombe est le seul endroit de la planète où Oscar Wilde ne se trouve pas.

11 commentaires:

Unknown a dit…

Bonjour,
Votre texte m'a conforté dans l'idée que j'aime Oscar Wilde mais que je ne le connais malheureusement pas assez.. Alors je vais me rendre bien vite à la bibliothèque pour combler cette lacune, car à part le portrait de Dorian Grey, je suis totalement ignorante du reste de ses textes.
Pourrais je vous demander également quel est l'artiste qui a peint ce tableau?
Salutations du Périgord ensoleillé

Anonyme a dit…

Bonjour!

...Je voudrais connaître davantage Oscar Wilde. J'ai lu seulement "De Profundis" and "The picture of Dorian Gray" (en 1994 - je marque toujours dates sur des livres)... Peut-être je lis ces les deux encore une fois.. Ou je choisirai autre chose... (une proposition?) Il me plaît que je lise encore une fois certains livres ensuite d'années...

[...But currently, i am in an unexplained "non-literary" mood... I don't learned French... I just used these weird - 'surrealist' automatic web-translators of Altavista, trying to understand something from your writings on this great blog... So, i dare to send you a short comment in a language i don't speak... I know it can be full of mistakes... or without meaning... or with an "other" meaning... maybe you might delete it... :-)... anyway...]

I wish you a beautiful weekend, filled with inspiration, creativity and exciting moments!!!

Anna D.(Greece)

martin page a dit…

Chère Sara,
L'artiste se nomme Bettina Bick (j'ai trouvé cette image un peu par hasard sur internet).
bonne journée alors !
martin

martin page a dit…

Chère Anna,
the web-translator works (it's not perfect...)!
Thanks for all.
Wilde : read "The Decay of Lying" and "The Happy Prince and other Stories".
Have a good day (I correct my last book for children : "I am an earthquake", and soon (end of august) my new novel comes out : Peut-être une histoire d'amour").
martin

Unknown a dit…

Merci pour l'information!
Bonne journée.

Sarah

Anonyme a dit…

Thanks for your suggestions!

Are the childish earthquakes (!)over?

A (literary) "maybe" history of love (!) ? ... (i love the 'maybes'... perhaps: 'maybe' is one of my favorite words...'May be' a 'probability' to meet this novel someday... (peut-être... infinite possibilities...)

Have a pleasant day! Enjoy your "maybes"!!!
:-)
Anna D.

Tiphaine Violette a dit…

Je me permets d'ajouter parmi ses pièces The importance of being earnest et A woman of no importance (où se trouve une de mes répliques préférées : "and if you throw bread to the poor, it is merely to keep them quiet for a season"). A lire aussi le très divertissant Crime de Lord Arthur Saville.

Et encore bravo pour cette jolie préface, qui m'avait surprise en ouvrant l'édition d'Arléa ("mais Martin Page est partout ! chic, chic !")

martin page a dit…

Vous avez raison ! Ses pièces sont encore mal connues en France.

Anonyme a dit…

Tu m'avais caché que t'avais un blog, mon petit cachotier.

Et en plus je te surprends en train de discuter d'Oscar Wilde, eh beh on s'embête pas.

Petit coucou de Lyon...

martin page a dit…

Salut ! J'espère que tu vas bien. Lyon ça ne doit pas être évident.

Anonyme a dit…

Apparemment, c'est pas évident aux amis d'y venir!

Sinon, je dirais que Lyon aurait mérité d'être la capitale européenne de la culture en 2013, parce qu'on l'aurait vite oublié pour se consacrer aux manifestations culturelles.

Mais bon je me moque, mais il ne faut pas oublier que des millénaires ont été nécessaires à la Terre pour donner naissance à Lyon.

"La haine vaccine quand elle est injectée dès l’enfance, laissant aux anticorps de l’indifférence le loisir de se développer."
Tu as fait comment pour développer tes anti-corps de l'indifférence?
Et comme je suis pudique, je ne te demanderais pas qui a été ton fournisseur de haine... ;)