dimanche 10 février 2008

outrage de la fête aux fleurs


(texte publié dans le magazine Technikart je crois ; en 2001, 2002 ou 2003)


Parfois, quand le ciel est propice et qu’une comète passe à la pointe de la constellation du Cygne, il arrive que les plans de la Nature et ceux du gouvernement coïncident. Le gouvernement a décidé que nous devions faire la fête un samedi de juin, agiter nos corps, les remplir de bière et accessoirement laisser les ondes sonores pénétrer nos conduits auditifs externes pour faire vibrer nos tympans. Ce samedi, nous sommes jeunes et libres, c’est ainsi ; le programme nous convient assez, après tout, exceptionnellement, il n’y a rien à la télé. Nous trouvons une salle posée près du bassin de la Villette. Tout est si bien arrangé : des baffles, un chanteur, une scène, des auditeurs. Nous sommes heureux quand les vibrations se transmettent aux osselets de l’oreille moyenne. Le marteau, l’enclume et l’étrier battent le rythme. De la fumée entre dans la bouche des participants ; des mots en sortent, mais nous n’écoutons déjà plus : dans notre tête les étriers s’emballent, leur base s’introduit dans la fenêtre ovale de l’oreille interne et provoque des déplacements du liquide contenu dans la cochlée. Nous en profitons pour prendre un autre verre, de quoi nous ne savons pas, et ça nous est égal car l’ambiance est si folle que nous serions prêt à boire de l’eau. Le gouvernement a vraiment eu une chouette idée : les vibrations de la membrane du canal cochléaire sont transmises à l’organe de Corti dont les cellules sensorielles traduisent l’énergie acoustique en impulsions nerveuses. Celles-ci sont transférées par le nerf cochléaire à la zone du cerveau qui traite la perception des sons. C’est alors que nous nous apercevons que, décidément, nous n’aimons pas le death metal berrichon. Mais nous ne pouvons plus rien faire il est trop tard pour revenir en arrière : nous dansons. Et des hommes et des femmes autour de nous dansent aussi ; nous pourrions être amis avec eux, avoir des discussions passionnées, mais ils sont trop loin, quelques décibels nous séparent. Nous aimons la fête. La lumière des spots rentre dans nos yeux sans se préoccuper de nos paupières. 
Avec les poissons, la Nature crée l’ouie quelques millions d’années avant l’apparition de l’homme. Puis, à la fin du XXéme siècle (l’homme est apparue entre temps si vous vous rappelez bien), le gouvernement d’un petit pays invente la fête de la musique. Des millénaires d’évolution ont enfin rencontré un grand projet politique. Quelle émotion.
C’est le saccule, un organe de l’ouie primitif chez les poissons qui nous procure le plaisir d’écouter de la musique au dessus de 90 décibels. Le saccule est un organe sourd, ça tombe bien, ça tombe même très bien ce soir. Comme les poissons, nous sommes dans l’eau, nous dansons dans un aquarium ; le saccule a été crée pour cet environnement, il transmet des vibrations à l’hypothalamus qui envoie un message de plaisir. Chez les poissons, il existe une connexion entre la vessie gazeuse et l’oreille interne, relation qui favorise la réception des sons dans l’eau. Qui a participé à n’importe quelle soirée musicale sait que notre vessie est un organe souvent sollicité, qui se vide et se remplie au rythme des verres de bières dont les averses tombent dans notre gosier. 
Darwin jouait du piano aux vers de terre pour savoir s’ils avaient une ouie. La réponse est qu’ils n’en avaient pas, mais vous savez quoi ? ça ne les empêchaient pas de se tortiller en rythme. Le gouvernement nous joue de la musique pour voir si nous entendons ce qu’il ne nous dit pas. Nous nous tortillons en rythme, je crois.
Le mauvais esprit de ce rapport sur cette expérience musicale et sociale est injuste si on oublie les outrages minuscules. Nous nous sommes amusés, finalement. Mais quand à la fin de la nuit je suis rentré chez moi, j’ai trouvé deux cadavres de fleurs piétinés par des amoureux de la musique. Ces deux anciennes tulipes avaient été plantées par ma voisine contre le mur de l’immeuble. J’en avais la garde depuis que la vieille dame avait été livrée à une maison de retraite picarde qui collectionne les grabataires. Je sais que je n’aurais pas pu les sauver : on ne peut s’opposer à une foule sympathique et aimable. On s’amuse toujours quand on ne regarde pas ce que l’on piétine. Les deux tulipes étaient orange et rouge ; elles s’ouvraient le matin à l'heure où sonnait mon réveil ; âgées de quelques mois, elles avaient résisté aux chiens, à la pollution et aux attentions des enfants. 

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Mais enfin qu'avez vous contre le death métal (léthal?) berrichon? Enfin, je dis ça, ce n'est pas que j'aime particulièrement le métal, mais en fait ce n'était pas du tout ce que je voulais dire... Ce que je veux dire, c'est: les fleurs c'est périssable ... ah et oui, j'ai appris des choses intéressantes sur le saccule, puis sur les vers de terre aussi, tout ça en souriant!

Anonyme a dit…

je cherche à vous contacter depuis quelques temps pour vous dire merci pour vos ouvrages qui m'enchante de façon systématique...
difficile de trouver un contact alors je passe par ici, et je vous dis MERCI!
et je vais chercher encore pour trouver un mail quelque part... sinon tanpis je ne developperais jamais sur la question.

martin page a dit…

@sosof : voilà un adorable message parfait pour commencer la journée;
vous pouvez m'écrire chez mon éditeur , désormais les éditions de l'olivier 27 rue Jacob 75006 (qui fera suivre)

Anonyme a dit…

hoo! une vraie lettre? Avec du vrai papier, une envellope, un timbre et une ecriture manuscrite?
Remarque pourquoi pas... c'est une demarche dont on perd l'habitude, mais nettement plus investie que le mail...
:)
hé bien soit... reste à trouver le courage.